Crise humanitaire : Ces femmes PDI qui tentent de reconstruire leur vie

Depuis plusieurs années, le Burkina Faso fait face à une situation sécuritaire difficile avec ses corolaires de crises humanitaire et alimentaire. Selon le Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR), on compte 2 062 534 Personnes déplacées internes (PDI) au pays à la date du 31 mars 2023. Ce chiffre montre l’urgence d’agir. Face à cette situation, l’Etat et ses partenaires mènent des actions de réponse sur le terrain pour apporter une assistance à ces populations qui sont dans le besoin et d’organiser leur retour dans leurs localités d’origine. D’autres PDI ne se sont pas apitoyer sur leur sort. Elles considèrent leur situation comme une épreuve de la vie qu’il faudra surmonter. C’est le cas de Djeneba, Fatoumata, Oumou et Koulssoum. Contraintes de quitter leurs localités, elles sont arrivées à Ouagadougou avec leurs familles. N’ayant pas de quoi vivre, elles se promenaient dans les rues de Ouagadougou pour quémander. Dans leur quête, elles ont eu la chance de bénéficier des accompagnements d’une association dénommée l’Association Nomwaya pour l’épanouissement de la mère et de l’enfant (ANEME). Elles ont pu apprendre des métiers et tentent de reconstruire leur vie à travers une activité génératrice de revenu. Une équipe de Latribunedufaso.net est allée à leur rencontre. Lisez !

Jeudi 12 octobre 2023. Il est 8H40 lorsque nous arrivions au point de rendez-vous que notre guide nous avait indiqué. Nous sommes au secteur 39 de Ouagadougou, non loin de l’Hôpital Paul VI dans le quartier Kamboinsin (Silmi Yiri). Après quelques minutes d’attente, elle est venue nous rejoindre. « Vous voyez que c’est pas caché », lance-t-elle avec un air jovial. Elle, c’est Bintou Ouédraogo/Diallo. Elle est la présidente de l’ANEME. Après les salutations, elle nous guide au siège de l’association, où nous attendent les dames. Après quelques minutes, nous voilà arrivés à destination. Elle nous fait entrer dans une cour où nous avons trouvé un groupe de femmes. « Ces femmes sont de l’actuelle promotion. Nous prenons des groupes de femmes PDI pour les former dans les métiers afin qu’elles puissent se prendre en charge. Les dames avec qui vous avez rendez-vous ont déjà fini leur formation », nous explique-t-elle en nous présentant aux femmes. Elle nous invite ensuite à entrer dans une maison où nous avons rencontré Zidwemba Djeneba et Ouédraogo Fatoumata entrain de compter des boules de savon. Il s’agit du savon communément appelé « savon kabakourou ». 

Zidwemba Djeneba et Ouédraogo Fatoumata peuvent gagner entre 5 000 et 10 000 FCFA dans la vente de savon

Les boules de savon sont vendues à 300 FCFA l’unité

Les deux dames sont des PDI. Cela fait pratiquement une année qu’elles sont arrivées à Ouagadougou. Elles se sont rencontrées au cours des séances de formation de l’ANEME. Elles ont appris à faire du savon et à l’issue de la formation, elles ont décidé de travailler ensemble. Elles se sont confiées à nous. A écouter les deux dames, c’est suite à la dégradation de la situation sécuritaire dans leur zone qu’elles ont été contraintes de fuir avec leur famille. Zidwemba Djeneba dit venir de « Gouroungou » dans le département de Gourcy, région du Nord. Ouédraogo Fatoumata vient de « Loagha », un village situé dans le département de Kongoussi (région du Centre-Nord). Avec un ton triste, elles disent avoir beaucoup souffert à leur arrivée à Ouagadougou. « Il n’y avait pas de quoi manger. Même pour trouver de l’eau à boire, c’était un problème. Mais grâce à Tantie (NDLR, la présidente de l’ANEME), nous avons pu bénéficier de cette formation. Aujourd’hui, nous pouvons subvenir à nos besoins », nous a confié dame Djeneba.

Ouédraogo Fatoumata (à gauche) et Zidwemba Djeneba (à droite)

Ces deux femmes fabriquent du savon (liquide et solide) qu’elles vendent en gros et en détail. Les boules de savon solide, encore appelé kabakourou sont vendues à 300 FCFA l’unité. Quant au savon liquide, le bidon de 1,5 litre coûte également 300 FCFA et celui de 0,5 litre est vendu à 100 FCFA. Après la vente, elles gardent le fonds de commerce pour les prochaines productions et se partagent les revenus. Chacune d’elles peuvent avoir entre 5 000 et 10 000 FCFA. Avec cet argent, elles ne quémandent plus. Elles arrivent à épauler leurs époux dans la prise en charge de la famille. Elles ont lancé un cri de cœur aux bonnes volontés pour la dotation de l’ANEME en matériels afin de permettre à d’autres femmes PDI de bénéficier de cette formation.

Ouédraogo Oumou Koulssoum vend des gâteaux secs

Nous prenons congés des deux femmes et notre guide, la présidente de l’ANEME, nous amène rencontrer une vendeuse de gâteaux du nom de Ouédraogo Oumou Koulssoum.

« Je peux économiser aujourd’hui 90 000 FCFA par mois grâce à cette activité », Ouédraogo Oumou Koulssoum

Assise sous un hangar à quelques pas du siège de l’association, elle frit du gâteau sec qu’elle vend dans une école de la place. Au moment où nous nous apprêtons à l’aborder, elle a demandé à remettre l’entretien plus tard car il est presque 10 H et elle doit se rendre à l’école pour vendre à la recréation.  Avec une charrette qui lui sert de moyen de transport de son commerce, elle se rend précipitamment dans la cours de l’école. Nous décidons de la suivre. A la recréation, la table de dame Ouédraogo est prise d’assaut par les enfants. « Je veux pour 25 F. Pour moi c’est 100 F », disent les enfants en se bousculant. Visiblement, les gâteaux de Koulssoum sont beaucoup appréciés par les enfants. En moins de 30 minutes, elle a déjà fini de tout vendre. Nous nous rendons ensuite au siège de l’association pour échanger. Si aujourd’hui tout semble réussir à la trentaine, Koulssoum se rappelle encore dans quelle circonstance elle est venue à Ouagadougou.

Dame Koulssoum entrain de vendre aux enfants à la récréation

Elle vient du village de « Mougounpôko », situé à 20 Km de Ouahigouya. « Là-bas, nous pratiquions l’agriculture et l’élevage. Nous avons décidé de tout abandonner et de quitter notre localité, car les menaces terroristes devenaient de plus en plus grandes. Nous étions six à partir. C’était mon mari, ses frères, leurs femmes et moi », nous a-t-elle confié avant d’ajouter que la localité est de nos jours sous blocus des terroristes.

Lire aussi⇒ Inclusion financière des PDI : Le CNC-AIF formule 5 recommandations aux acteurs

Arrivée à Ouagadougou en 2021, elle a trouvé refuge avec sa famille chez une bonne volonté. « Grâce à une connaissance, j’ai pu bénéficier des accompagnements de l’association pour commencer ce travail. Même si les débuts n’ont pas été faciles, je peux économiser aujourd’hui 90 000 FCFA par mois grâce à cette activité. J’ai même pu m’offrir une moto », nous a appris Ouédraogo Oumou Koulssoum. Aujourd’hui, elle et son mari ont pu trouver un logement et accueillent d’autres PDI.

Boly Oumou est monitrice de la maternelle. Elle gagne en moyenne 30 000 FCFA par mois

Boly Oumou est aussi une PDI que nous avons rencontré. Elle est monitrice dans une crèche de l’association. En effet, l’ANEME dispose d’une crèche au sein de laquelle elle accueille des enfants en difficulté. A l’écouter, ce métier lui permet de gagner 30 000 FCFA le mois. Elle arrive à se prendre en charge et à envoyer de l’argent à sa famille restées à Kongoussi. A la question de savoir si Kongoussi est sa localité d’origine, elle raconte dans quelle circonstance elle s’est retrouvée à la capitale.

Lire aussi⇒ Solidarité : Le comité des femmes de la mine d’Essakane fait un don aux PDI

C’est après une attaque terroriste dans son village (Kilou dans le département de Kongoussi) en 2020 que tout a commencé. « Ce jour-là, ils  sont venus autour de 18H et ont commencé à tirer en l’air. Cela a même causé la mort d’une douzaine de personnes. Après leur départ, tout le village a fui et comme c’était la nuit chacun a cherché une cachette en attendant le lendemain. Et c’est ainsi que je me suis réfugier à Kongoussi avec ma famille », nous raconte-elle la triste aventure. Se trouvant dans une situation très difficile, elle a donc décidé de rejoindre Ouagadougou où elle habite chez un proche.

Selon la présidente de l’ANEME, Bintou Ouédraogo/Diallo, l’association ne s’occupait pas des PDI au début. C’est à la suite d’une demande d’aide d’un groupe de femmes PDI en 2020 qu’elle a commencé à intervenir dans ce domaine.

La présidente de l’Association Nomwaya pour l’épanouissement de la mère et de l’enfant (ANEME), Bintou Ouédraogo/Diallo

Même si Mme Ouédraogo regrette de n’avoir pas reçu de financement venant des services de l’Action sociale, l’association a pu accompagner ces PDI grâce en partie aux soutiens de l’Etat et ses partenaires. « Nous avons un partenariat avec l’arrondissement 09, l’arrondissement 03 et la mairie centrale de Ouagadougou. Au niveau de l’État nous n’avons pas encore reçu de financement. Nous avons approché les services sociaux pour des cas de malnutrition des enfants mais nous n’avons reçu que des mots de remerciement », a-t-elle laissé entendre.

La présidente de l’ANEME, Bintou Ouédraogo/Diallo parlant des formations dispensées aux PDI

A écouter la présidente de l’ANEME, l’association a compris que la meilleure solution pour venir en aide aux PDI ne se limite pas aux dons mais doit aussi inclure des formations en métiers. L’objectif est de permettre à ces personnes de mener une Activité génératrice de revenus (AGR) afin de se prendre en charge elles-mêmes. Pour cela, l’ANEME s’est inscrit dans la stratégie du gouvernement qui consiste à former les PDI en AGR et de les doter en équipements pour commencer leurs activités. « Nous avons développé un programme de formation au profit des femmes  PDI dans plusieurs métiers. Il s’agit notamment de la saponification, du tissage, de l’élevage et de la teinture du pagne Kôkô Donda », a ajouté Mme Ouédraogo.

 

Issouf Tapsoba

Latribunedufaso.net

Partagez

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *