image illustrative d'assurance incendie

Incendie du marché de Sankar yaar : L’assurance multirisque aurait-elle pu sauver les commerçants ?

L’incendie du marché de Sankar yaar, douloureux événement que les habitants de la ville de Ouagadougou ne sont pas prêts d’oublier. C’était le 29 janvier 2023. Débuté dans la matinée, c’est autour de 14h que le feu a pu être maitrisé. Même si aucune perte en vie humaine ni de blessé n’a été enregistré, les dégâts ont été énormes. La partie centrale du marché a été la plus touchée. Selon certaine source, près de 800 boutiques sont parties en fumée ce jour-là. Le feu a littéralement consumé l’espoir de plusieurs commerçants. Après le drame, les autorités ont pris des mesures pour la réhabilitation dudit marché. A ce jour, le chantier est terminé. Cependant, le marché reste toujours fermé.  En attendant son ouverture, qu’est-ce que les victimes font pour survivre ? Certains ayant tout perdu. Et si tout ce préjudice était évitable? Comment ce drame a été vécu par les commerçant ? Pour mieux comprendre cet état des faits, Latribunedufaso.net est allée à la rencontre des membres de la Cellule de crise du marché de Sankar yaar.

Nous sommes au point de rendez-vous. Dans une boutique près du marché de Sankar yaar, quatre personnes nous attendent. Il s’agit du président de la cellule de crise, Boukaré Compaoré et du vice-président, Amadé Nacanabo. Ils étaient en compagnie de deux autres membres à savoir Mamounata Zoungrana et Moussa Zoundi.

Derrière leur sourire, ils s’efforçaient de dissimuler leur tristesse. « Il faut prendre ça avec philosophie », se réconfortaient-ils. Assis au milieu de la boutique, d’autres avaient le regard plongé dans le vide. A les écouter, l’image de cette douloureuse épreuve ne cesse souvent de défiler devant leurs yeux.

Le président de la cellule de crise de Sankar yaar, Boukaré Compaoré lors d'une interview sur l'impact de l'incendie du marché de sankar yaar sur leur commerce
Le président de la cellule de crise de Sankar yaar, Boukaré Compaoré a perdu près de 30 millions FCFA dans l’incendie – Ph. I. Tapsoba

La boutique qui nous a servi de point de rencontre est la propriété de Boukaré Compaoré. Ce dernier se rappelle encore de ce jour comme si c’était hier. « C’était un dimanche. J’étais à la maison. C’est mon enfant qui m’a informé au téléphone que le marché a pris feu », s’est-il rappelé. Il a perdu près de 30 millions FCFA dans l’incendie, selon lui. Aujourd’hui, il tente de relancer son commerce.

Les marchandises du vice-président de la cellule de crise, Amadé Nacanabo ont été épargnées par les flammes. Il indique que le feu n’est pas arrivé chez lui. Cependant, il dit être également impacté par le drame. « Nous avons tous quitté le marché. Le marché est fermé. Actuellement nous souffrons », a-t-il déploré.

« J’ai perdu près de 15 millions FCFA… »

Il n’est pas le seul à être durement impacté par l’incendie du 29 janvier 2024. Mamounata Zoungrana dit avoir perdu toute sa boutique. Elle est la responsable des femmes de la cellule. En attendant l’ouverture du marché, « je tente de me relancer dans une installation de fortune près du marché ». Et à Moussa Zoundi de renchérir que « l’incendie nous a vraiment fait du mal à nous tous ». Selon lui, ils ont perdu beaucoup de clients. Il estime avoir perdu près de 15 millions FCFA dans cette affaire.

Moussa Zoundi, membre de la cellule de crise de Sankar yaar  lors d'une interview sur l'impact de l'incendie du marché de sankar yaar sur leur commerce
Moussa Zoundi, membre de la cellule de crise de Sankar yaar – Ph. I. Tapsoba

Il est évident que toutes les victimes de l’incendie du marché de Sankar yaar souffrent. Pourtant, ils auraient pu sécuriser leur investissement en optant pour une assurance. Interrogés sur la question, nos interlocuteurs n’avaient pas envisagé cette solution. Ils mette en avant le manque d’information sur ce produit d’assurance.

En dehors de l’assurance automobile, ils ne disposent d’aucune information sur les autres types de produits d’assurance, selon eux. « Moi particulièrement, je ne sais rien sur les assurances. Si vous me parlez d’assurance de voiture je comprends », a avancé le président de la cellule de crise. Ils n’auraient pas hésité à s’assurer si les compagnies d’assurances leur avaient porter l’information.

Pour Amadé Nacanabo, ils ont fait l’erreur de ne pas aller à l’information. Cependant, ce qui les a démotivés est à « la mauvaise réputation » des compagnies d’assurance. « Au Burkina Faso, nous ne voyons pas l’importance de l’assurance. Même les véhicules qu’on assure, si tu as un problème, tu vas marcher fatiguer », a-t-il souligné. Pour lui, même s’ils ne sont pas allés à l’information, les compagnies d’assurance pouvaient venir vers eux au marché. Amadé Nacanaba les a donc invitées à renforcer la sensibilisation.

Selon ses dires, il n’a pas encore eu connaissance d’un commerçant qui a assuré ses biens, en cas de dommage, a bénéficié du soutien de l’assurance. « Je ne dis pas que ça ne peut pas exister », a-t-il précisé en poursuivant que cela aurait motivé les autres commerçants à s’engager. Pour mieux se faire comprendre, il nous a raconté une anecdote. « Après l’incendie de Rood wooko (NDLR, grand marché de Ouagadougou), un commerçant a trouvé son argent intact dans les décombres. Il l’avait placé dans un coffre-fort. Après l’incident, nombreux sont les commerçants qui sont allés chercher un coffre-fort. Donc si tu ne perçois pas les avantages d’une chose, tu ne peux pas t’engager », a-t-il relaté.

L’amalgame entre l’assurance incendie et l’assurance-crédit

Même son de cloche du côté de Mamounata Zoungrana et Moussa Zoundi. Ils ne comprennent pas aussi le système de l’assurance. Ils font l’amalgame entre l’assurance-crédit et l’assurance de biens ou d’activité. Avant l’incendie, ils avaient contracté des prêts auprès d’une banque pour financer leurs activités. Il leur avait été demandé de payer des frais d’assurance pour les couvrir en cas de problème. « Mais nous sommes nombreux au marché ici qui n’avons pas vu cette assurance lors de l’incendie », a montré Moussa Zoundi son incompréhension. « Est-ce parce que j’ai déjà fini de payer mon prêt ou parce qu’il ne s’agit pas de la même assurance ? », s’est questionnée Madame Zoungrana.

La responsable des femmes de la cellule de crise de Sankar yaar, Mamounata Zoungrana lors d'une interview sur l'impact de l'incendie du marché de sankar yaar sur leur commerce
La responsable des femmes de la cellule de crise de Sankar yaar, Mamounata Zoungrana – Ph. I. Tapsoba

Pour comprendre le fonctionnement de l’assurance, nous avons rencontré Michel Bationo. Il est le directeur de SONAR Agence PROXIMITE, située à Ouagadougou. A l’écouter l’assurance incendie est une garantie de l’assurance multirisque. Elle est d’ailleurs la garantie de base. C’est un produit d’assurance qui couvre les pertes ou dommages causés aux biens meubles et immeubles assurés. Il est destiné aux personnes physiques ou morales.

Comme son nom l’indique, l’assurance multirisques comporte plusieurs garanties. Il s’agit, notamment de l’incendie, de l’explosion et de la foudre.  A cela s’ajoutent les vols, les bris de glaces, les inondations, les dégâts des eaux, les inondations et les dommages des appareils électriques et informatiques. Selon Monsieur Bationo, pour le cas de l’incendie de Sankar yaar, ce produit d’assurance aurait pu les aider.

Cependant, notre interlocuteur indique que l’assurance répond à un certain nombre de règles qu’il faut respecter. A titre d’exemple, il a cité une maison ou un commerce installé dans une zone inondable. Si les conditions ne sont pas réunies, il est demandé au client de prendre un certain nombre de dispositions avant l’assurance. A l’écouter, l’objectif de l’assurance est d’aider le client à se relever en cas de problème. « S’il est dans une situation qui ne favorise pas cela, il est le premier perdant quand bien même qu’on va le dédommager. Pendant ce temps, il ne pourra plus exercer son activité et c’est lui qui perd », a-t-il expliqué.

La prime, le capital, la garantie et la franchise : de quoi s’agit-il ?

La prime c’est ce que le client paie en contrepartie d’une assurance ou d’une garantie. La prime est fonction notamment de l’objet assuré, des garanties choisies, des capitaux garantis, la situation habituelle du risque couvert et de la durée du contrat. Le capital est le montant à hauteur duquel l’assureur intervient en cas de sinistre. « Par exemple pour la garantie incendie, si le capital est 10 millions FCFA, notre intervention se limitera à ce montant », a expliqué Michel Bationo. Cependant, si l’assuré épuise son capital avant la fin du contrat et qu’un autre sinistre survient, il ne sera plus dédommagé pour la même garantie. Pour cause, il n’y a plus de capital. La garantie renvoie au risque couvert par le produit d’assurance.

Le Directeur de SONAR Agence PROXIMITE, Michel Bationo lors de son interview sur l'assurance multirisque
Le Directeur de SONAR Agence PROXIMITE, Michel Bationo – Ph. I. Tapsoba

La franchise est ce qui est à la charge du client en cas de réalisation du sinistre. Dans le jargon de l’assurance, on dit que la franchise moralise le sinistre. « Prenons l’exemple d’un capital de 1 million FCFA avec une franchise de 25 000 FCFA. En cas de sinistre, c’est 975 000 FCFA qui seront payés au client. Mais quand le sinistre est inférieur ou égale à 25 000 FCFA, on ne pourra pas intervenir parce que c’est déjà à la charge du client », a indiqué le directeur de SONAR Agence PROXIMITE.

La prime se paie en totalité et au moment de la souscription. Donc, le contrat ne prend effet qu’en cas de paiement de la totalité de la prime et à sa signature par les différentes parties sauf en cas de dérogation expresse. Ce système diffère de celui de certains produits d’assurance comme l’assurance vie où la prime se paie mensuellement.

Qu’est-ce qui explique « les préjugés » sur la profession d’assurance ?

« La plupart des gens n’ont pas la culture d’assurance. A mon avis, c’est ce qui justifie les préjugés sur la profession d’assurance », a affirmé Monsieur Bationo. Il a également noté la méconnaissance du mécanisme de dédommagement. Avant la signature du contrat, en général toutes les informations sont fournies aux clients. Il faut noter que des fois, « il y’a des omissions de la part de nous les assureurs ». En parlant de manque d’information, a-t-il précisé, il fait allusion à la répétition.

A l’écouter, il y a des clients qui oublient certains termes du contrat. Malheureusement, ils ne reviennent pas demander des explications. En cas de sinistre, il peut avoir des incompréhensions entre le client et l’assureur dans le processus de dédommagement. « Pour éviter cela, nous ne cessons de faire appel à nos clients pour discuter sur leur contrat en cours ou les rappeler les clauses du contrat au renouvellement », a-t-il ajouté.

Lire aussi >> Réhabilitation du marché de Sankar-Yaaré de Ouagadougou : Le chantier enregistre une progression de près de 50%

Michel Bationo reconnait que les sociétés d’assurances doivent renforcer la communication auprès des population pour changer les mentalités et les préjugés. D’ailleurs, il note une amélioration dans l’adoption de la culture d’assurance par la population. Cela a permis d’engranger de bons résultats, selon lui. L’Association professionnelle des sociétés d’assurances (APSAB) a enregistré en 2023 un chiffre d’affaires de 14 773 573 160 FCFA au titre des primes collectées pour les assurances multirisques incendie.  

Pour ce qui est de la Société nationale d’assurances et de réassurances (SONAR), nous notons 1 360 161 675 FCFA, a confié Monsieur Bationo. Par contre, les indemnités payées au titre des sinistres en incendie pour la même année par la SONAR est de 3 044 000 000 FCFA. « Plus du double des primes encaissées », a-t-il fait remarquer.  

Par ailleurs, notons que l’assurance multirisque incendie fait partie de la branche « Incendie et autres dommages aux biens » en assurance non vie. En effet, l’assurance non vie ou l’assurance IARD (incendies, accidents et risques divers) comprend 9 principales branches d’activités (Accidents corporels et maladie, Automobile, Incendie et autres risques, Responsabilité civile générale, Transport aériens, Transports maritimes, Autres transports, Autres risques directs dommage et les Acceptations). 

Au Burkina Faso, le chiffre d’affaires de la branche « Incendie et autres dommages aux biens » a enregistré une hausse continue et soutenue durant les années 2015 à 2019. En effet, pendant cette période, le chiffre d’affaires est passé de 4 217 000 000 FCFA à 7 647 000 000 FCFA.

graphique illustration de l'évolution du marché de l'assurance incendie au Burkina Faso de 2015 à 2019
Source : Rapport 2019 sur le marché de l’assurance au Burkina Faso et Base de données de la CIMA

Cette évolution positive témoigne d’une prise de conscience croissante des entreprises et des particuliers quant à l’importance de se protéger contre les risques liés aux incendies et autres dommages matériels. 

Issouf TAPSOBA

Latribunedufaso.net

Partagez

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *