Autorisation de pesticides non homologués dans la culture du coton au Faso : solution pérenne ou dépannage ponctuel ?

Réuni en Conseil des ministres le 8 février 2023, le gouvernement burkinabè a autorisé l’utilisation de pesticides non homologués pour lutter contre des insectes ravageurs de la famille des jassides, notamment les Amrasca biguttula, qui détruisent les cultures de coton. Même si cette décision vise à relancer la production cotonnière en baisse depuis 2021, elle inquiète les experts en raison du danger que ces pesticides représentent pour les autres cultures. L’Etat met-il alors en danger la culture vivrière au profit de la culture de rente ?

Selon l’Organisation mondiale du commerce, la culture du coton contribue à plus de 28% au PIB agricole et à plus de 4% au produit intérieur brut (PIB) du Burkina Faso. Le pays des hommes intègres est le troisième producteur de coton graine conventionnel en Afrique après le Bénin et la Côte d’Ivoire, avec 407 308 tonnes (dont 1 565 tonnes de coton biologique) lors de la campagne 2022-2023. Ce secteur emploie près de 350 000 exploitants qui font vivre près de 3 000 000 de personnes au Faso.

Comparativement à la campagne 2021-2022, la production cotonnière au Burkina Faso a connu une baisse de 22 % lors de la campagne 2022-2023. D’après le Secrétaire général de l’Association interprofessionnelle du coton du Burkina (AICB), Louis Yanzon Yé, plusieurs difficultés, dont « les attaques de jassides ayant occasionné des dégâts importants et d’énormes pertes de récoltes », sont à prendre en compte. Le ministère en charge du Commerce estime les pertes économiques à près de 21 milliards de francs CFA pour les producteurs et à une soixantaine de milliards de francs CFA pour l’Etat. 

La gestion des pesticides est encadrée par la loi 026-2017/AN du 15 mai 2017 portant contrôle de la gestion des pesticides au Burkina Faso. Cette loi, en son article 28, permet à l’autorité de recourir à des pesticides non homologués en cas d’urgence s’il n’y a pas de pesticides homologués efficaces disponibles. Déjà, en 2014, le gouvernement avait eu recours au Fenthion (insecticide de contact et d’absorption) qui est avicide et permet donc de protéger les cultures des oiseaux granivores.

Selon Békouanan Nabié, Directeur de la protection des végétaux et du conditionnement (DPVC) au ministère en charge de l’Agriculture, l’autorisation des pesticides non homologués tels que Gracia 10 EC, de Jacobia 350 ECC et de Flonicamide 050 WG, constitue une solution pour lutter contre les ravageurs du cotonnier à court terme, notamment la nouvelle espèce de jasside (Amrasca Bigutula).

« Il importe de noter que les pesticides importés par la dérogation spéciale accordée par le gouvernement ont permis aux producteurs de contrôler les populations de jassides et par conséquent de réduire significativement les dégâts de ces jassides sur le cotonnier », témoigne-t-il avant d’ajouter : « Il y a eu moins d’attaques de jassides au cours de la campagne agricole 2023-2024 presque dans tous les pays qui ont fait recours à ces pesticides »

Les jassides sont des ravageurs de fin de cycle en culture cotonnière. Selon Emmanuel Sekloka, Directeur de l’Institut de Recherche sur le Coton (Bénin), ils étaient bien contrôlés par les aleurodicides positionnés en traitement de fin de cycle en culture cotonnière. Mais, au cours de la campagne 2022-2023, une infestation massive de jassides est intervenue plus tôt dans le cycle de la culture du coton, avec l’émergence d’une nouvelle espèce plus invasive qui est Amrasca Bigutula, a affirmé Emmanuel Sekloka, lors de la rencontre du Programme régional de production intégrée du coton en Afrique (PR-PICA), tenue en novembre 2022 à Lomé au Togo.

Risque de contamination des produits maraîchers

Amrasca Bigutula (un ravageur du coton, du gombo et d’autres cultures en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest) est « très prolifique en raison de l’inefficacité de la plupart des insecticides homologués et utilisés pour la protection du cotonnier », explique le gouvernement burkinabè pour motiver sa décision. Mais cela justifie-t-il sa décision malgré les risques (toxicité, contamination des autres cultures) d’autoriser l’importation de pesticides non homologués ? Non. Répond Arsène Savadogo, Secrétaire général du Conseil national de l’agriculture biologique (CNABIO), qui trouve que le gouvernement va trop vite en besogne même s’il y a urgence.

« Il faudrait qu’on explore toutes les solutions afin de ne pas être pris au piège de l’industrie agrochimique et des intrants chimiques. Plusieurs travaux ont montré qu’il y a des solutions organiques qui permettent de contrôler ces jassides là », explique-t-il. Par exemple, en Afrique subsaharienne, les méthodes alternatives concernent principalement le contrôle génétique, avec l’utilisation de caractères variétaux de résistance ou de tolérance aux ravageurs, la mise en œuvre de pratiques de contrôle cultural, et la pulvérisation de bio pesticides dans le cadre de la lutte biologique.

La plupart des produits non homologués sont toujours en phase d’essai, même s’ils ont montré une efficacité sur les ravageurs. « Mais on n’a pas encore le retour sur le milieu réel. C’est pour cela que le processus d’homologation prend plusieurs années, plusieurs étapes pour qu’on puisse tester tout cela », a insisté l’agrobiologiste Arsène Savadogo. 

Il est d’autant plus inquiet parce que rien ne garantit que ces produits autorisés à être utilisés sur le coton ne le soient pas sur d’autres cultures. « Qu’est-ce qui nous dit que les propriétaires ne vont pas l’utiliser au niveau du maraîchage. Quand on prend certaines cultures comme le gombo, le bissap qui subissent également l’effet de ses ravageurs. Quel sera l’impact sur la consommation de ces produits maraîchers ? C’est autant d’inquiétudes que nous formulons », confie-t-il.

Selon le Conseil national de l’agriculture biologique, l’autorisation d’importation de pesticides non homologués pour faire face aux jassides comporte beaucoup de risques. L’organisation estime que les ravageurs contre lesquels la mesure a été prise s’attaquent aussi aux produits vivriers de consommation directe ; ce qui laisse entrevoir une possibilité d’utilisation de ces pesticides non homologués sur des légumes et autres produits maraîchers qui pourraient se retrouver dans les plats des consommateurs. Ce qui constitue des risques de santé publique.

Pour le Directeur de la protection des végétaux et du conditionnement, le gouvernement est conscient de la balance risque/bénéfices en ce sens que tous les pesticides non homologués qui ont été importés ont été évalués par les chercheurs du programme Coton de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso (INERA) en collaboration avec les sociétés cotonnières et d’autres structures de recherche de la sous-région, notamment en Côte d’Ivoire. 

« Ces pesticides en majorité de classe III, donc légèrement dangereux selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont un effet négligeable sur l’environnement et une toxicité modérée pour l’homme et les animaux », confie l’ingénieur agronome. Le risque zéro n’existant pas, il reconnaît tout de même que l’utilisation des pesticides non homologués tels que Gracia, Jacobia, flonicamide et autres pourrait constituer un risque s’ils sont utilisés en agriculture vivrière, surtout sur l’aubergine, le bissap et le gombo.

« Cependant, vu la classification de ces pesticides dans la classe III, légèrement dangereux, si les bonnes pratiques d’applications sont respectées, c’est-à-dire la dose, les délais avant récolte et le port des EPI (équipements de protection individuelle), le risque d’intoxication des applicateurs et de présence de résidus de pesticide dépassant les limites maximales sera faible », souligne-t-il avant d’affirmer que : « Les molécules de ces pesticides sont homologués dans d’autres pays sur les cultures vivrières pour le contrôle des jassides, notamment en Inde, au Pakistan et au Népal ».

« Les producteurs maraîchers urbains, péri-urbains et les agriculteurs en milieu rural, surtout dans les zones cotonnières, utilisent les pesticides et des herbicides dont ils ignorent la qualité ou la composition», confie Elisabeth Ouédraogo, la deuxième vice-présidente du CES. Cette utilisation désordonnée et détournée des pesticides ou des herbicides a causé la mort par empoisonnement de treize personnes à Dydir, région du Centre-Ouest et de cinq personnes à Nayamtenga dans la région du Centre-Est en septembre 2019. 

Selon une étude du réseau PAN (Pesticides Action Network International) réalisée en 2021, les pesticides causent par an au moins 385 millions d’intoxications graves dans le monde. Au moins 200 000 personnes en meurent, soit une moyenne de 500 personnes par jour. D’après les services techniques du ministère de l’Agriculture, la quasi-totalité des pays producteurs de coton en Afrique de l’Ouest et du Centre ont fait recours aux mêmes pesticides. Certains pays, comme le Burkina, le Togo et le Bénin, l’ont acquis par dérogation, mais d’autres comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun, qui ont leur propre système d’homologation des pesticides, ont procédé à leur homologation.

Des alternatives à la lutte chimique existent, mais avec des résultats peu probants

Selon Vaissayre Maurice, Cauquil Jean et Silvie Pierre qui ont publié dans la revue scientifique Agritrop, le site d’informations scientifiques du CIRAD, les alternatives à la lutte chimique contre les jassides impliquent des méthodes culturales, des caractères variétaux de tolérance aux ravageurs, des auxiliaires entomophages, des agents entomopathogènes et des médiateurs chimiques. Ces experts mentionnent que l’utilisation conjointe de ces facteurs de régulation est un exemple de lutte intégrée pour la protection phytosanitaire du cotonnier. 

Mais les chercheurs soulignent que le bilan des alternatives à la lutte chimique est encore peu exploitable. Cependant, des solutions apparaissent pour le contrôle de certains groupes de ravageurs, expliquent-ils. Il s’agit de la pilosité à l’encontre des jassides, des entomophages et entomopathogènes limitant les populations déprédatrices d’homoptères, de la création de variétés transformées pour le contrôle des chenilles carpophages. 

Le ministère de l’Environnement assure la vice-présidence du Comité national de gestion des pesticides. Il dit veiller au grain, à travers sa Direction générale de la préservation de l’environnement (DGPE), quant à l’usage des pesticides sur le territoire. Au Burkina, ainsi que pour les autres États membres du CILSS, l’homologation des pesticides est faite par le Comité sahélien des pesticides.

Pour le Directeur général de la préservation de l’environnement, Boukary Kaboré, le fait que les pesticides susmentionnés ne soient pas sur la liste ne signifie pas automatiquement qu’elles constituent un danger pour la population. Les pesticides sont composés de matières actives. C’est lorsque ces matières actives sont interdites au Burkina qu’il y a problème. Dans le cas contraire, ces pesticides peuvent être autorisés, donc il n’y a pas de soucis quant à son utilisation. Il suffit d’appliquer le procédé et bien entendu accentuer les contrôles en tandem avec d’autres services techniques de l’Etat, convainc-t-il.

Et les dégâts restent importants en l’absence de lutte chimique, soulignent les chercheurs Vaissayre Maurice, Cauquil Jean et Silvie Pierre. Ce qui explique que le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) développe avec ses partenaires, notamment en Afrique, de nouveaux programmes de protection, intégrant ces possibilités chimiques et alternatives.

A l’unanimité, tous les acteurs reconnaissent que la lutte chimique contre les ravageurs du cotonnier a des limites. En ce sens qu’il y a toujours des résistances. Des travaux de recherche en cours au Burkina Faso proposent des biopesticides comme alternative à long terme aux produits chimiques de synthèse. 

Enquête réalisée par Marcus KOUAMAN, avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

Autorisation de pesticides non homologués dans la culture du coton au Faso : solution pérenne ou dépannage ponctuel ?

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