Situation sécuritaire au Burkina : « Le terrorisme en lui-même est une violation des droits humains », Aly Sanou, Secrétaire général du MBDHP

Cela fait maintenant quelques années que  le Burkina Faso est en proie à des attaques terroristes qui endeuillent les populations. Pour venir à bout de  ce mal, les Forces de défense et de sécurité (FDS) mènent des actions de sécurisation sur le terrain. Cependant, des cas de violations des droits humains sont de plus en plus  dénoncés lors de ces opérations. Au cours d’un entretien accordé à Latribunedufaso.net, le Secrétaire Général du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP),  Aly Sanou,  présente  les causes  et les enjeux de ce  phénomène.

 Latribunedufaso.net : Lorsque l’on parle de droits humains, à quoi cela renvoie t-il ?

Aly Sanou : Les droits humains sont des droits que nous avons du seul fait que nous naissons des êtres humains. Que nous soyons blanc, noir,  jaune,  vert, homme ou femme, à la naissance nous avons ces droits, qui visent à garantir notre dignité. Aussi  nous permettre de nous  épanouir dans la société dans  laquelle nous vivons et de pouvoir réaliser nos aspirations justes et légitimes.

Généralement, c’est sur la première génération de droits humains ( droits civils et politiques) que les gens ont plus de connaissances, notamment le droit à la vie, l’interdiction de torturer et autres. Mais les droits humains c’est  aussi le droit à l’alimentation, à l’éducation, à la santé, à la paix, au développement. Bref un ensemble de droits dont l’objectif ultime est premièrement de  garantir la dignité de la personne humaine et deuxièmement lui permettre de s’épanouir dans la société dans laquelle elle vit.

Dans la stratégie de lutte de l’Etat burkinabè contre le terrorisme, le MBDHP a par moment relevé des cas de violation des droits humains. Pouvez-vous nous en dire plus ?

D’abord, Il faut dire que le terrorisme en lui-même est une violation des droits humains. Quand on parle de terrorisme, on parle d’assassinats, de viols de femmes, de déplacements forcés des populations, de destruction des biens. Voilà pourquoi en tant que défenseurs des droits humains, nous dénonçons  également les actes des groupes armés terroristes (GAT).  C’est bien de le préciser, c’est bien que les choses soient claires.

 

Mais nous estimons qu’on ne  peut pas combattre correctement et  efficacement le terrorisme, si on ne met pas au cœur de la lutte, des principes de droits humains, dont le premier est la protection des populations civiles. Les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) dans leur mandat, la protection des populations civiles est une question essentielle et cardinale.  Toute l’action des FDS tourne autour de la protection des populations civiles. Il  n’y a pas meilleure manière de protéger les populations civiles, que d’éviter de commettre des exécutions sommaires et  extra judiciaires ainsi que des disparitions forcées. Une exécution sommaire et extra judiciaire suppose que la personne qui en est victime avait été maitrisée avant l’exécution, qu’elle ne constituait plus une menace, et que les personnes qui l’on arrêté, outre le fait que cette personne n’est plus une menace pour elles, ont préféré l’éliminer purement et simplement.

Dans la lutte contre le terrorisme aujourd’hui, des communautés disent qu’elles sont stigmatisées, qu’elles sont victimes d’un ciblage ethnique. Nous pensons que c’est parce qu’il y a des exécutions sommaires et   extra judiciaires que ce sentiment existe. S’il n’y en avait pas, ça voudrait dire que toutes les personnes qui seront éliminées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme seraient des personnes armées qui présentent un danger pour les FDS et  pour les  populations civiles, ce qui rendrait légitime l’action de ces dernières. Cela veut dire aujourd’hui que personne ne pourrait  remettre en cause ce que font les FDS.

« Pourquoi malgré toutes les opérations militaires que nous faisons, le terrorisme ne fait que gagner du terrain »

C’est parce que cette action conduit à ce que  des personnes désarmées soient éliminées qu’il y a le débat. Est-ce que ce sont des terroristes ?  De notre point de vu, si des personnes ne constituent plus une menace, nous voulons que l’Etat de droit s’applique. Si nous avons des éléments tangibles qui montrent que ces personnes sont des terroristes,  laissons la justice faire son travail. Mais tant que ces personnes sont armées, refusent d’obtempérer, et constituent des menaces pour les FDS, aucun défenseur des droits humains ne demandera d’aller les attraper les mains nues. Je rappelle que si ces forces là ont des armes c’est bien pour s’en servir. Et nous notre action vise à ce qu’en se servant de ces armes, elles ne le fassent pas de façon arbitraire, parce que l’arbitraire constitue lui-même un élément d’alimentation de la crise sécuritaire dans notre pays.

Je trouve dommage que lorsque  nos autorités communiquent, ce soit toujours en termes de personnes terroristes éliminées. Ce qui nous importe le plus, c’est le retour de la sécurité et de la paix. Le retour des personnes déplacées dans leurs communautés. Et la question que nous nous posons, c’est pourquoi malgré toutes les opérations militaires que nous faisons, le terrorisme ne fait que gagner du terrain. Nous avons vu l’opération Otapuanu à l’Est en 2019, aujourd’hui la région de l’Est est très loin d’être une région sécurisée. Nous avons vu l’opération Doofu dans la même période dans la région du Sahel, aujourd’hui le Sahel est infesté par les groupes armés terroristes. Ça veut dire que nous devons repenser nos opérations militaires et les calibrer de sortes à ce qu’elles ne fassent pas des dégâts collatéraux, et à ce qu’elles permettent d’assurer de façon effective la protection des populations civiles.

A votre avis, qu’est-ce qui peut bien expliquer ces cas de violation des droits humains ?

Nous pensons que c’est l’absence de volonté et de courage politique. Depuis le MPP (Mouvement du Peuple pour le Progrès) à aujourd’hui le MPSR2 (Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration), aucune autorité politique dans notre pays, n’a eu le courage de reconnaître qu’il y a des exécutions sommaires et  extra-judiciaires. Alors que cela constitue un élément d’aggravation de la crise. A chaque fois que les défenseurs des droits humains dénoncent, on nous rétorque que les FDS sont formés en droits humains, comme si une formation était une garantie absolue du respect des droits humains. Les militaires qui font des descentes musclées dans les quartiers où ils bastonnent des populations civiles sont formés en droits humains, mais ça n’empêche pas qu’ils fassent des descentes, on l’a vu à Nagrin,  à Pô, et à Karpala. Cette absence de courage et de volonté politique constitue le frein le plus essentiel.

A cela s’ajoute-le fait que lorsque l’on dénonce aujourd’hui ces exactions, on nous qualifie d’apatrides. Comme si demander à l’armée de mener des actions de façon plus professionnelle était un acte d’apatride et c’est dommage. Donc aujourd’hui, c’est claire, la responsabilité, elle est d’abord au niveau des acteurs politiques qui dirigent ce pays, qui ont librement choisi de fermer les yeux et de laisser faire.

Des vidéos se sont par moment retrouvées sur la toile. Quelles conséquences cela peut avoir au sein de la société ?

Les vidéos horribles que nous voyons ont pour conséquence de banaliser la vie humaine et de ne plus la sacraliser. C’est- à – dire  qu’aujourd’hui, pour un  simple soupçon on peut tuer quelqu’un, même si cette personne  ne constitue pas pour vous, ni pour vos proches une menace. Cela est extrêmement grave.  Si on veut construire une société de paix, il faut que l’on ait la culture de la paix. La culture de la paix signifie  que l’on travaille à ce que la vie humaine soit sacralisée, ce d’autant plus que nous disons et nous insistons là-dessus,   le fait de  tuer n’est pas contraire aux principes des  droits humains, ce qui est contraire aux principes des droits humains, c’est de tuer de façon arbitraire.

L’arbitraire c’est quand on a maitrisé la  personne et qu’elle ne constitue plus une menace, on peut la remettre à la justice. On dit ok, on préfère l’éliminer soi-même. Là, cela devient un cas d’exécution sommaire, extra-judiciaire et un cas arbitraire. Le fait de  ne pas sanctionner ces cas, de les encourager à la limite et de les laisser se perpétuer, banalise la vie humaine. Aujourd’hui au Burkina, si quelqu’un est tué et qu’on dit qu’on le suspectait de terrorisme, c’est suffisant pour qu’on accepte. S’il y a une chose que le terrorisme lui-même a réussi, c’est de banaliser la vie humaine dans notre pays et de déshumaniser notre société dans son ensemble.

Pensez vous que l’on peut  parler de droits humains encore lorsque des hommes armées massacrent la population ?

C’est peut-être nous défenseur des droits humains qui manquons de pédagogie, parce-que c’est dans ces moments qu’il faut parler de droits humains, le terrorisme lui-même étant une violation des droits humains.  S’il perdure ça veut dire que l’Etat ne joue pas correctement son rôle de protection des populations civiles contre l’insécurité et contre les attaques terroristes. Il  faut donc  amener l’Etat dans ce contexte à jouer correctement son rôle et  si tel n’est pas le cas, nous serons très critiques vis-à-vis de lui.

Maintenant, dans le rôle que l’Etat doit jouer, il doit travailler à ce que l’Etat de droit s’applique. Comme nous l’avons dit,  s’il y a une attaque terroriste dans une zone, lorsque les forces de sécurité interviennent il arrive que dans leurs actions elles tuent. Lorsqu’il y a eu les attaques de Splendide hôtel, de Cappuccino et autres, le MBDHP a fait un communiqué pour féliciter les FDS pour leur action, pourtant, elles ont eu à tuer. Mais dans  ce cas, il n’y a pas eu de violation des droits humains. La limite intervient lorsque comme nous  le disons et nous insistons là-dessus, on a maitrisé des gens qui ne constituent plus de danger.

L’autre aspect, est que les exactions elles-mêmes ne sont pas efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Non seulement elles donnent un sentiment de stigmatisation à des populations qui en même temps rejoignent les GAT. Voilà pourquoi quand on observe la composition des  GAT dans  notre pays, il y a des  communautés qui y sont majoritaires. Parce qu’elles se sentent stigmatisées, donc premier facteur qui nous fait dire que ce n’est pas efficace.

Le second facteur est que lorsque l’on maîtrise des terroristes sur les champs de bataille, c’est en même tant une mine d’informations. Le volet judiciaire que nous voulons qu’il prenne le relais  va consister à réunir les preuves non seulement pour  accabler les terroristes pour qu’ils rendent compte, mais également pour démanteler un réseau dont il pourrait être un élément. Ce terroriste qui est pris, il y’a bien quelqu’un qui lui a donné une Kalachnikov, qui le ravitaille en munitions. S’il est éliminé on ne peut remonter cette pente.

Mais si on s’inscrit dans un processus judiciaire, ça permet en même temps de démanteler tout un réseau et d’être plus efficace dans la lutte contre le terrorisme. C’est simplement ce que les défenseurs des droits humains demandent.

Comment le public accueille votre lutte, est ce qu’il y a une adhésion ?

Nous pensons que nous ne sommes pas toujours bien compris. Peut-être parce que nous n’avons pas la pédagogie nécessaire pour nous faire comprendre. Mais en même temps, lorsque nous observons l’évolution du climat dans notre pays, en 2019  le MBDHP a fait un rapport sur des évènements à Kaïn, un rapport qui a fait beaucoup de bruit   dans l’opinion.

De 2019 à 2023, cela fait 04 ans, mais nous sentons que lorsque nous dénonçons les exactions, l’opinion devient plus réceptive, parce qu’elle a eu le temps de faire son expérience, de savoir s’il y a ou non des exactions. En 2019 on nous a dit qu’il n’y a pas d’exactions. Maintenant ils sont très peu à se bomber le torse pour dire qu’il n’y en  a pas  car elles nous ont rattrapées.

Pourquoi le terrorisme ne fait qu’avancer ?  Ce questionnement doit être une préoccupation pour tous les burkinabè épris de paix dans notre pays. Les gens commencent à se poser un certain nombre de questions et à beaucoup plus interroger l’action  de nos FDS. Nous disons que beaucoup de nos FDS font un travail formidable au prix de leurs vies.  Pour ceux là, il n’est pas juste que  des violations des droits humains viennent ternir ce qu’ils font.

Récemment l’Assemblée Législative de Transition a voté la modification de l’article 241 du code de justice militaire. Désormais   des officiers et agents de la police judiciaire et également des greffiers militaires seront déployés sur le théâtre des opérations avec les forces combattantes. Quelle appréciation faites-vous de cette nouvelle donne ?

A priori c’est une bonne chose, parce que l’action des prévôtés vise  dans un premier temps à réunir les éléments de preuves contre les attaques que les FDS eux même subissent. Si des unités militaires sont attaquées, il est bon qu’il ait des enquêtes qui permettent de retrouver ceux qui les ont attaqué pour que justice soit rendu aux victimes.  Le second volet est que leur action devrait permettre de réduire considérablement les violations des droits humains du fait des FDS.

Mais quelques soit les révisions législatives, s’il n’y a pas une volonté et un courage politique clairs,   il n’y aura pas de changement sur le terrain. Nous disons qu’il serait mieux que cette mesure nouvelle  soit suivie d’un engagement ferme de nos autorités. Sans cet engagement, les choses vont se poursuivre ainsi.  Bien au contraire quand nous allons dénoncer les violations des  droits humains, ils viendront nous dire « il y a les prévôtés sur le terrain, cela veut dire que les droits humains sont respectés ». Donc, pour nous, l’élément central, c’est la volonté politique.

Est-ce qu’on peut dire que le MBDHP a enfin été entendu, que c’est une réponse à votre longue lutte ?

Je ne dirai pas oui parce qu’on attend de voir sur le terrain. On dirait qu’on a été entendu, si nos autorités sortaient de leur posture négationniste, mais la posture demeure. On nous dit toujours que c’est faux ce qu’on dit, qu’il n’y a pas de violation des droits humains sur le terrain. Cela m’emmène à dire que tant que cette  posture n’évolue pas, on peut se poser les questions véritables sur la volonté de mettre un terme aux exactions.

Votre mot de fin.

C’est de demander à la presse de nous accompagner dans le travail d’éducation aux droits humains. Généralement, on peut être hostile aux droits humains, quand on pense qu’ils sont sensés protéger les autres. Mais quand on les ramène à notre propre personne et aux personnes que nous aimons, on devient beaucoup plus réceptif. Il faut travailler à ce qu’on se dise que la construction de la paix est fonction de notre capacité à respecter les droits humains.

Notre pays est dans une situation de guerre, mais la paix de demain il nous faut la préparer à partir d’aujourd’hui. La meilleure manière de préparer cette paix, c’est d’arrêter de banaliser la vie humaine, arrêter les violations des droits humains et les exactions. Tant qu’elles vont perdurer, nous ne ferons  que nous enliser dans la guerre dans laquelle nous sommes.

Entretien réalisé par Astride Kiendrebeogo

Latribunedufaso.net

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